Bilan des Journées de Soleure 2024
- Publié le 2. février 2024
Du 17 au 24 janvier a été célébré le cinéma suisse. Qu'en a pensé la rédaction ?
Rolf Breiner se réjouit des films de fiction forts en provenance de la Suisse romande, alors qu’à ses yeux, les productions de la Suisse alémanique ne sont pas au niveau. Le rédacteur en chef Felix Schenker n’est pas le seul à porter un jugement désabusé sur le film d’ouverture et Geri Krebs met en avant l’organisation du festival et les documentaires. Parmi eux, les deux films gagnants abordent, dans la plus grande diversité possible, le thème des migrants en Suisse.
Bilan de cette 59ème édition des Journées de Soleure
par Rolf Breiner, Geri Krebs, Ondine Perier et Felix Schenker
Tout est-il comme avant ?
Le troisième plus grand festival de cinéma de Suisse est presque revenu au niveau d’affluence des années précédant la pandémie. Avec 63’000 visiteurs, la 59e édition de “Soleure 2024” a été un succès (2019 : 64’000 ; 2020 : 66’000). L’infrastructure des Journées cinématographiques n’a pas non plus changé. Le confort des sièges dans les trois salles principales, le Landhaus, la salle de concert et le Reithalle, est toujours aussi confortable qu’il y a des décennies. Le fait que des coussins portant le logo du sponsor principal Swiss Life aient été disposés lors de quelques projections, puis récupérés immédiatement après la projection, était un détail grotesque. En tant que spectateur, on ne pouvait profiter de ce coussin moelleux que si le film projeté était l’un des neuf nominés pour le Prix du Public – offert par Swiss Life – et seulement s’il était projeté pour la première fois.
La précarité de l’infrastructure des Journées du film a été démontrée une fois de plus le vendredi et le samedi, lorsqu’il était impossible de se frayer un chemin entre le Landhaus et le restaurant Kreuz aux heures de pointe. On se serait presque cru revenu à l’époque où il n’existait pas encore de système de réservation électronique et où il fallait attendre dans le froid pour pouvoir assister à un film. Cette impression a été renforcée par le fait que presque toutes les premières de films et manifestations importantes ont été programmées sur les trois premiers jours du festival. En revanche, dès le dimanche après-midi, on avait l’impression que les Journées du film touchaient à leur fin. Notamment parce que le prix “Visioni”, l’une des trois sections principales compétitives, a été décerné dès le samedi soir. Le prix du jury, doté de 20 000 francs pour une première ou une deuxième œuvre, a été attribué à Laura Cazador et Amanda Cortés pour le film AUTOUR DU FEU. Le jury a fait l’éloge de ce film simple, mais structuré de manière originale, qui aborde de manière inattendue et passionnante un thème complexe et très actuel.
Un film d’ouverture faible
Après le grand film de Carmen Jaquier, FOUDRE, on attendait beaucoup. Trop, sans doute ! C’est ainsi que LES PARADIS DE DIANE ont reçu des éloges : Le film de Jan Gassman et Carmen Jaquiers a non seulement ouvert les 59e Journées de Soleure, mais il est également représenté dans la section Panorama de la Berlinale de cette année. Cela est sans doute dû au thème, car le point de départ est passionnant : une mère qui ne peut pas développer de relation avec son nouveau-né. Peu après la naissance, elle fuit Zurich et s’installe dans un moloch de vacances espagnol.
Ce qui suit se transforme malheureusement en un spectacle de monstres. La narration se fait à l’aide d’images “lourdes de sens”, qui semblent artistiques mais qui sont en fait des absurdités. La quête désespérée de la protagoniste pour se retrouver, pour sentir son corps, semble construite et surfaite. Au final, il ne reste pas grand-chose d’autre qu’une femme dérangée qui ne parvient guère à nous faire comprendre le thème initial du film. On aurait pu tirer tellement plus de ce thème. Gassman et Jaquier l’ont gaspillé. En revanche, le rédacteur en chef d’arttv Felix Schenker mentionne positivement la musique du film. Il n’est de loin pas le seul à ne pas être enthousiasmé par le film d’ouverture des 59e Journées de Soleure. La directrice de la rédaction de Click Cinema.ch, la plateforme cinématographique francophone d’arttv.ch, déplore notamment que le film ne parvienne pas à susciter l’empathie pour la protagoniste principale, malgré la beauté et la tension des images. Geri Krebs voit un problème fondamental dans le film. Le scénario de LES PARADIS DE DIANE est absurde. Cela montre une fois de plus que la Suisse manque de bons scénaristes. Mais visuellement, le film est très beau et la nouvelle venue Dorothee de Koon est tout simplement formidable.
Une question d’existence
Soleure, c’est du cinéma à foison. La traditionnelle rétrospective des œuvres suisses est appréciée des jeunes et des moins jeunes, c’est pourquoi un nombre remarquablement élevé de séances se sont déroulées à guichets fermés cette année. Il convient de noter que le système de réservation (avec l’application, vous êtes de la partie !) a mieux fonctionné qu’à Locarno par exemple. Au total, 23 premières mondiales et 13 premières suisses étaient au programme. On a remarqué – comme d’habitude – d’excellents documentaires et surtout de solides films de fiction de Suisse romande. Ce n’est pas la première fois que les films de fiction suisses alémaniques laissent une impression plutôt faible à Rolf Breiner. Seuls quelques-uns se sont démarqués et ont montré un potentiel international. Les films du terroir, locaux, ancrés dans la région peuvent aussi être de qualité, mais ils ne permettent pas de remporter un pot de fleurs, des palmes ou un ours en dehors de la Suisse.
Dans le domaine des longs métrages, les productions de Suisse romande se sont distinguées de manière frappante. RIVIÈRE, par exemple, une âpre romance de hockey sur glace autour de deux jeunes femmes de Hugues Hariche, ou LAISSEZ-MOI du Genevois Maxime Rappaz, un drame autour d’une mère célibataire entre responsabilité, nostalgie et satisfaction. Ce film est bien mérité et nominé pour le Prix du Cinéma Suisse 2024 dans la catégorie Meilleur film de fiction. L’histoire d’émancipation de Nadège de Benoit-Luthy, PAULINE GRANDEUR NATURE, a également des qualités cinématographiques. Pauline, qui élève seule ses enfants, essaie de tout concilier, ses enfants et sa carrière de paysagiste. Elle se heurte à ses limites. Cette coproduction belgo-suisse séduit par son réalisme au quotidien. “Pauline grandeur nature” est une sympathique romance “verte” sur une femme, interprétée par Déborah François, qui se bat pour trouver sa place dans un monde d’hommes.
Pour Rolf Breiner, le meilleur film de fiction était BISONS de Pierre Monnard, nominé six fois pour le Prix du Cinéma Suisse “Quartz”, mais qui n’a reçu aucune récompense à Soleure. Monnard a déjà prouvé sa classe de réalisateur dans PLATZSPITZBABY ou dans la série télévisée WILDER. Dans BISONS, deux frères très différents se battent pour reprendre la ferme de leurs parents endettée en Suisse romande. Steve a tout ce qu’il faut pour devenir un grand lutteur. Mais les couronnes et les munitions ne suffisent pas à le sortir du piège de l’endettement. Il se laisse donc entraîner par son frère Joël, qui a fait trois ans de prison, dans des combats à mains nues illégaux en France. Les prix sont élevés et Steve risque sa peau. Les acteurs principaux, Maxime Valvini (Steve), ancien lutteur et sportif de jiu-jitsu à la base, et Karim Barras (Joël), se livrent à un combat fratricide tragique, pour le meilleur et pour le pire. Un cinéma passionnant – réaliste et suisse. Et à la fin, il y a un bison dans le brouillard, symbole d’un avenir meilleur pour les paysans ? Rien que pour cela, Soleure valait à nouveau un voyage cinématographique.
Le thème de la migration gagne
L’AUDITION de Lisa Gehrig est une reconstitution aussi minutieuse que rigoureuse de la situation d’interrogatoire de quatre requérants d’asile, dans laquelle les participants “jouent” eux-mêmes. La metteuse en scène Lisa Gehrig a le courage d’aborder le sujet brûlant de la politique d’asile suisse et le courage des demandeurs d’asile déboutés et des collaborateurs du Secrétariat d’État aux migrations est impressionnant. L’AUDITION incarne de manière idéale la vertu la plus importante d’un film documentaire : Nous donner, en tant que public, un aperçu de mondes qui nous seraient autrement fermés. Le film aurait toutefois été encore plus courageux si Gehrig avait également soulevé la question fondamentale de toute l’absurdité du système d’asile actuel : Ne serait-il pas plus judicieux que l’État suisse consacre au moins une partie des milliards qu’il dépense chaque année pour la bureaucratie de l’asile à une aide accrue dans les pays d’origine des demandeurs d’asile et à une augmentation massive du personnel et des bâtiments des ambassades suisses sur place ? A la fin du film, on apprend que deux des demandeurs d’asile ont été “admis provisoirement” après leur recours, une personne a été refusée tandis qu’une autre attend encore sa décision. De manière générale, on aurait aimé en savoir plus sur les motifs de refus définitifs. Malgré tout, le Prix de Soleure est un prix mérité pour L’AUDITION.
Mais un autre documentaire – qui aborde également le thème de la migration au sens large – l’aurait au moins autant mérité : 2G. La vision de l’intérieur de la vie d’une poignée d’hommes qui gagnaient autrefois leur vie comme passeurs dans le pays sahélien pauvre qu’est le Niger et qui sont aujourd’hui chercheurs d’or dans le désert en raison de l’interdiction de leur activité par le gouvernement nigérien, remplit la qualité d’un aperçu de mondes jamais vus. Mais le réalisateur de 2G, Karim Sayad, né à Lausanne de parents algériens, avait déjà remporté le Prix de Soleure en 2018 pour son documentaire DES MOUTONS ET DES HOMMES. Cette circonstance a peut-être été une raison pour ne pas lui décerner à nouveau le prix le mieux doté du monde du cinéma suisse, soit 60 000 francs. Dans l’histoire du Prix de Soleure, qui existe depuis 2009, il n’y a qu’une seule personne à l’avoir reçu deux fois : Fanny Bräunig, en 2009 pour NO MORE SMOKE SIGNALS et en 2019 pour IMMER UND EWIG.
L’ennemi devient le chouchou du public
En ce qui concerne le film préféré du public – et récompensé par le prix correspondant – DES VRAIS SUISSES, il n’est pas sans ironie de constater que c’est un film qui a remporté les faveurs des spectateurs et qui montre avec beaucoup de bienveillance une institution qui, autrefois, faisait partie de l’image de l’ennemi pour presque tous les visiteurs des Journées de Soleure : l’armée suisse. Le premier film de Luka Popadić est un portrait presque comique de quatre officiers, tous issus de l’immigration. Pour Geri Krebs, c’est sans doute surtout grâce à l’éblouissant sens de l’autodérision, à l’esprit et à l’humour parfois noir du réalisateur que DES VRAIS SUISSES a pu s’insinuer à ce point dans l’esprit et le cœur du public. Et en ce qui concerne le complexe thématique des migrants en Suisse, la qualité la plus forte du film est qu’avec la présentation rafraîchissante et sans préjugés de quatre officiers supérieurs de l’armée suisse issus de l’immigration (un Tamoul, un Tunisien et deux Serbes), il se moque avec malice du récit confortable de la Suisse comme pays raciste.
Un bon flair
Enfin, arttv.ch et clickcinema.ch ont une fois de plus prouvé leur proximité et leur actualité avec la création cinématographique suisse. Pour tous les films gagnants dans le domaine du meilleur film de fiction, arttv.ch a réalisé des interviews avec des réalisateurs, des producteurs ou des acteurs, bien avant l’annonce des nominations. Nous restons à l’écoute !